Retour d'expérience

De l’honneur et du travail de l’entretien

Par Brahim Metiba

À la suite de la publication sur Seira.io d’un entretien avec Frédérique Vidal, ancienne ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, j’ai reçu ce message en privé :

« Cher Monsieur,

J’ai longuement hésité quant à la réponse à vous apporter, car je craignais qu’un entretien sur votre site web soit perçu comme un potentiel conflit d’intérêt avec les appels d’offre d’AMO de mon université.

Cependant, l’entretien que vous avez mené avec Frédérique Vidal me simplifie grandement la tâche : que vous accordiez du crédit à une ancienne ministre qui a commandité une enquête au CNRS sur l’islamo-gauchisme à l’université en 2021 me consterne et vous déshonore.

Ma réponse est donc définitivement non.

Très cordialement, »

Rappel du contexte : l’« islamo-gauchisme »

En février 2021, alors qu’elle était ministre, Frédérique Vidal avait demandé au CNRS une enquête sur ce qu’elle nommait « l’islamo-gauchisme » à l’université. Cette décision a marqué durablement son image dans une partie du monde universitaire.

Quatre ans plus tard, l’évocation de son nom continue de polariser les réactions. L’entretien que nous avons mené a donc été vu par certains non pas comme une enquête ou un exercice de compréhension, mais comme une forme de caution.

Qu’est-ce que l’entretien ?

C’est précisément là qu’il faut rappeler ce qu’est un entretien. L’entretien relève de la maïeutique : cet art socratique de faire advenir la pensée par le dialogue, l’écoute et la relance. Il ne s’agit ni d’un acte d’allégeance ni d’une entreprise d’excommunication.

Interroger, écouter, confronter : telle est la vocation de l’entretien. Sa finalité n’est pas de conférer une médaille symbolique ou d’infliger une sanction morale, mais de produire de l’intelligibilité sur une trajectoire, une stratégie, une vision.

Qu’est-ce que l’honneur ?

Le mot utilisé dans le message – « déshonneur » – mérite lui aussi d’être interrogé. Dans son acception classique, l’honneur renvoie à un capital symbolique, un bien extérieur au sens aristotélicien. Comme le rappelle Aristote dans l’Éthique à Nicomaque, l’honneur n’est pas une vertu en soi, mais ce que les autres nous attribuent en reconnaissance d’une vertu supposée.

Montaigne, plus tard, notait combien l’honneur dépend du regard d’autrui : il est une scène sociale, presque théâtrale, où l’on incarne une réputation plus qu’on ne déploie une pensée.

Appliqué à l’entretien, le recours à cette catégorie est problématique. Car juger un entretien à l’aune de l’honneur ou du déshonneur revient à substituer à l’espace critique une logique chevaleresque, où il ne s’agit plus d’évaluer des idées mais des blasons, non plus d’entendre des arguments mais de distribuer des réputations.

Un symptôme de notre époque

Ce glissement dit sans doute quelque chose de notre temps. Nous vivons dans une conversation publique où l’on soupçonne souvent davantage qu’on n’examine, où l’on réduit le débat à des procès en loyauté. Dans cet horizon, écouter devient suspect, comprendre ressemble à cautionner, et interroger revient à s’aligner.

Or, la valeur de l’entretien est précisément de résister à cette dérive. Il ne s’agit pas d’honorer ou de déshonorer qui que ce soit, mais de donner à entendre. L’honneur n’est pas la bonne catégorie pour penser ce travail. Ce qui est en jeu, c’est la dignité du débat intellectuel et la possibilité d’accueillir des paroles plurielles dans toute leur complexité.

En guise de conclusion

Rappelons une exigence simple : lire avant de condamner, comprendre avant de disqualifier, écouter avant de juger. C’est à cette condition que l’entretien garde son sens, et que le débat intellectuel peut encore échapper aux logiques d’honneur et de déshonneur pour se consacrer à ce qui importe : les idées.

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